L’identité féminine dans l'actualité
- Mildred Salas
- 9 avr. 2011
- 10 min de lecture
« L’identité féminine dans l'actualité » Présentation en Colloque identité contemporaine (CIPIC 2011), Ecole Pratiques des Hautes Etudes de Paris, Paris, France, avril, 2011.
L’identité féminine dans l’actualité
L’identité féminine
L’identité est un caractère ou un ensemble de traits qui déterminent une personne, un groupe ou une catégorie quelconque, ces signes d’appartenance permanents et cohérents renvoient à une personne ou à une entité identique à elle-même, permettant ainsi de les différencier des autres. Lorsqu’on parle des hommes et des femmes, l’identité acquiert l’attribut du sexuel, c’est à cet instant que les termes de « genre » et de « sexe » surgissent pour rendre compte de la différence entre les sexes. Pour notre part, nous allons aborder l’identité sexuelle en nous référant d’une part, aux notions traditionnelles de sexe et de genre ; et de l’autre, à celles introduites par la psychanalyse, à savoir le désir et la sexualité. Une identité sexuelle idéale suppose une cohérence et une continuité entre tous ces termes. Néanmoins, nous allons tenter de montrer que ce qualificatif de cohérence s’applique difficilement au désir féminin, la sexualité féminine introduisant forcément une discontinuité entre la jouissance et la manière dont, le désir féminin s’inscrit dans le social et le symbolique.
Nous allons d’abord définir ce qui dans l’identité a trait au genre et au sexe. Pour de nombreuses théoriciennes féministes, le « sexe » est ce qui relève du corps anatomique alors que le « genre » désigne plutôt la signification que la culture attribue au corps ou à un sexe donné. Ce dernier étant une norme qui loin d’être la conséquence directe du sexe anatomique, génère de multiples significations culturelles. Qu’est-ce qui caractérise aujourd’hui l’identité féminine? Comment le rapport entre le genre et le sexe ont-ils été modifiés ?
Le travail salarié, l’épanouissement dans le cadre de la vie professionnelle et l’accès au pouvoir, servent à décrire, également, la place des femmes et la perception qu’elles entretiennent d’elles-mêmes dans la société actuelle. Ce, parce que les significations sociales de ce qu’est une femme, évoluent en fonction des époques considérées et des contextes sociaux. Les caractères ci-dessus évoqués peuvent, de surcroît, définir tant le sexe masculin que le féminin. Le rapport entre le sexe et le genre serait donc dépendant des transformations culturelles. Toutefois, la fonction de la maternité qui peut être partagée par des hommes et des femmes, rencontre une réelle limite s’agissant de la grossesse et de l’accouchement, expériences difficilement vécues par les hommes. Un point irréductible au naturel du sexe détermine et fixe le rapport au genre.
En 1990, Judith Butler a proposé d’échapper à cette impasse en portant une critique du rapport selon lequel, le sexe serait à la nature ce que le genre est au social. En effet, « ce que l’on appelle « sexe » est une construction culturelle au même titre que le genre ; en réalité, peut-être le sexe est-il toujours déjà du genre et, par conséquent, il n’y aurait plus vraiment de distinction entre les deux »[1]. Pour cette auteure, le genre serait ainsi conçu comme un moyen discursif par lequel, le sexe serait produit comme « prédiscursif » ou encore naturel. Le sexe est déjà un effet d’une technologie sociale hautement sophistiquée; les institutions linguistiques, sociales et médicales sélectionnent en effet les parties du corps impliquées dans la reproduction comme étant exclusivement sexuelles.
Si l’on considère l’exemple de la maternité, le désir d’enfant peut être naturalisé, dès lors qu’on affirme qu’il est universel, présent chez toutes les femmes. Tel est le cas de l’instinct maternel, qui naît de la comparaison des femmes avec les comportements maternels observés surtout chez les primates. Les sentiments d’attachements pour le bébé, déclenchés par l’hormone de l’allaitement, trouveraient ainsi un fondement biologique. De nouvelles catégories sont inventées lorsqu’on identifie, par exemple, chez une future mère l’absence de cet instinct. Citons le cas, assez médiatisé ces derniers temps, des femmes enceintes qui n'ont ni conscience de leur grossesse ni des signes habituels annonciateurs de celle-ci. Ces femmes n'ont même pas de ventre ou alors, il n’apparaît qu’ultérieurement, suite à la découverte de la grossesse avant qu’elle n’aille à son terme. On voit apparaître un nouveau diagnostique, celui de « déni de grossesse » présent dans la littérature médicale et psychologique des années soixante-dix, mais qui demeure cependant très peu enseigné. Le discours médical produit donc une entité psychopathologique pour ces femmes qui échappent au supposé instinct universel. En dehors des cas les plus dramatiques qui se concluent par un infanticide, il existe des femmes qui, bien qu’ayant fait un déni de grossesse, gardent leur bébé, et tissent avec lui, ensuite, des relations affectives. Le fait que certaines femmes n’éprouvent pas de sentiments maternels durant la période de la grossesse ou après l’accouchement, contredit la théorie de l’instinct, sans pour autant questionner le terme lui-même. On les catalogue en les culpabilisant de « mauvaises » mères ou de mères « malades ».
Les pratiques médicales ou du genre produisent comme corrélat psychique, un diagnostique pour ces femmes qui échappent au principe universel assigné à l’instinct. Ce dernier est cependant effacé des discours sociaux qui signalent son émergence dans la nomenclature médicale et psychologique, en raison du fondement biologique qu’il représente, parce qu’il se matérialise dans ce qu’il y aurait de plus mammifère dans un corps femelle. Elisabeth Badinter considère l’instinct maternel comme la conséquence d’une idéologie naturaliste, qui serait de retour, depuis les années soixante-dix/quatre-vingts. Cette idéologie serait un effet de l’apparition de l’écologie, des sciences du comportement notamment l’éthologie et du féminisme essentialiste où les femmes sont exhortées à retourner au modèle maternel afin de définir leur féminité, « on veut aujourd’hui les convaincre de renouer avec la nature et de revenir aux fondements dont l’instinct maternel serait le pilier »[2]. Il n’y a donc rien de surprenant à ce que le diagnostique du « déni de grossesse » ait précisément surgi dans les années soixante-dix, pourtant dissocié de cette idéologie naturaliste qui avait déterminé son apparition.
En réalité, ce diagnostique constitue une réponse à un double paradoxe. D’une part, il répond à l’impasse en laquelle l’exception à la règle plongeait, à savoir l’attribution d’un caractère universel contredit par ces femmes, pour qui l’instinct maternel n’existe pas. Cette exception se pose comme une contradiction qui ne peut être intégrée, celle-ci étant incompatible avec le caractère immuable de la nature. D’autre part, est soulignée la surpuissance du psychisme sur le corps de femmes que l’on suspecte de vivre un déni de grossesses ; le ventre qui ne s’arrondit pas ou encore la poursuite des règles. Ne serait-il pas, dans ces conditions, plus aisé de questionner le terme d’instinct lui-même ? Cette voie s’avère cependant impossible à emprunter, car elle impliquerait la reconnaissance de la place du psychisme en dehors de la pathologie. Considérer les effets du psychisme, cela revient aussi à considérer l’ambivalent et le conflit inhérent à tout rapport d’objet, au risque d’invalider, bien évidemment, le concept d’instinct lui-même.
Les femmes dans l’actualité
Dans les sociétés contemporaines, les femmes ont accès à des secteurs très divers de la société, dont elles étaient, autrefois, exclues. Les femmes participent majoritairement au marché du travail, à tel point que celles qui choisissent de rester au foyer, sont obligées de se justifier. Toutefois, on aurait tort de croire que les femmes et les hommes jouissent des mêmes droits et opportunités sur les lieux de travail. De la même manière, les tâches ménagères et éducatives auprès des enfants, ne sont plus l’apanage des seules femmes, quoique les hommes résistent encore au partage égalitaire des tâches. En dépit des inégalités qui perdurent encore, une tendance à la neutralisation des rôles féminins et masculins prend le dessus. Les domaines réservés autrefois aux hommes se sont aussi ouverts aux femmes, qui accèdent aux études de droit ou scientifiques, aux diplômes hautement qualifiés et aux spécialisations techniques ou informatiques, etc. Par ailleurs, les hommes qui investissent dans les études supérieures refusent de s’identifier aux attributs de virilité associés à la force physique. Selon le sociologue François de Singly, cette neutralisation des rôles des sexes serait, cependant, illusoire[3]. Selon cet auteur, plutôt qu’un déclin du pouvoir masculin, on assisterait à une dévaluation par certains secteurs de la société des « démonstrations de force physique », en faveur, des « intérêts neutres » ou « généraux ». Bien que les femmes accèdent aux insignes de puissance phallique autrefois, exclusivement masculins, le pouvoir masculin conserve toujours la suprématie. Dans les entreprises ou dans la haute fonction publique, l’accès des femmes aux postes de responsabilité, demeure encore très minoritaire. L’exercice retreint des fonctions politiques en fournit un autre exemple. La « loi parité hommes-femmes », votée le 6 juin 2000 (complétée le 31 juillet 2007), prétendait favoriser l’égal accès des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives. Toutefois, le nombre des femmes présentant leur candidature aux élections législatives est faible, les partis préférant s’acquitter du montant des amendes plutôt que de s’embarrasser de femmes.
Du rapport des sexes dans l’actualité, on retient, d’une part, que les identités féminines et masculines s’approchent plus que jamais sous le signe de la neutralité des rôles ; et de l’autre, que cet apparent rapprochement suscite de véritables soupçons. Le « neutre » et « l’humain universel » paraissant, ici, entraîner, voire dissimuler la domination masculine. Comme si ce pouvoir débouchait, inexorablement, sur le système d’organisation patriarcale de la société. L’ordre symbolique qui instaure la différence des sexes en psychanalyse, est-il, dès lors, toujours indépendant de la suprématie masculine ? Le symbole du Phallus, en tant qu’instance neutre commune aux deux sexes, peut-il échapper à l’emprise du pouvoir masculin ?
Le désir et la sexualité féminine dans la psychanalyse
La psychanalyse lacanienne introduit la dimension psychique de la sexualité via le symbole du Phallus qui opère une dénaturation de la sexualité. De sorte que ce qui concerne le corps sera, désormais, désigné par le terme de « jouissance ». Par ailleurs, la fonction du Phallus déplace l’accent mis sur l’identité, sur celui, de la « position » « féminine » et « masculine ». L’identité est alors centrée sur l’aspect subjectif et singulier du rôle du genre, tandis que la « position » n’apparaît que comme un idéal à atteindre dans le fantasme existant entre les sexes. Le Phallus déterminerait le désir féminin et masculin indépendamment du sexe anatomique. Selon le fantasme inconscient, une femme est celle qui représente pour l’homme, l’objet de son désir. La femme est mise en position d’objet et symbolisée, aux yeux de l’homme, sous la forme du Phallus. Une partie du désir des femmes trouve donc à se symboliser dans la quête du désir de l’homme, en jouant à paraître l’objet de ce désir. La « position féminine » consiste à « être » le Phallus que les femmes n’ont pas, alors que celle autre « masculine », consiste, elle, à éprouver « avoir » le Phallus que les femmes supposent qu’ils ont[4]. La question se pose donc de savoir d’où vient cette identification, plus fantasmatique que réelle de la femme comme objet ?
Inspiré par les systèmes de filiation et d’alliance de la parenté décrits par Claude Levi- Strauss, Lacan postule que le rapport entre les sexes ne serait rien d’autre qu’une variante de l’échange des femmes caractéristique des systèmes de parenté. Dans ces systèmes, la loi qui interdit l’inceste prescrit le mariage avec un certain type de parents ; une fille est autrement dit abandonnée au profit d’une autre. Les femmes circulent entre les groupes comme autant d’objets échangés ; d’où que Lacan conçoive l’échange entre les sexes à partir du fantasme selon lequel les femmes seraient les objets désirés. Les hommes apparaissent alors comme des sujets séducteurs d’objets désirés. A cet instant de notre débat, une question se pose : La « position masculine » serait-elle, au contraire de ce qui prévaut pour les femmes, celle du sujet qui se fonde à lui-même ?[5] A vrai dire, il ne s’agirait que d’un effet illusoire de séduction, les hommes ne détenant pas plus le Phallus qu’ils sont supposés porter. Ils doivent faire comme s’ils l’avaient, ce qui n’est pas moins exténuant, voire pénible.
Nous venons d’évoquer l’une des figures du désir féminin dans la psychanalyse, la femme comme étant le Phallus. La seconde est celle de la mère, son désir est alors symbolisé par cet enfant qu’elle met au monde, et grâce auquel, elle reçoit en échange, la reconnaissance sociale. Ces deux figures sont, cependant, insuffisantes pour définir le désir féminin. La sexualité féminine, en effet, vient à bouleverser toute prétention à déterminer l’identité féminine. Aujourd’hui, les idéaux sociaux ont été élargis et les femmes accèdent à nombre de modalités phalliques leur permettant de satisfaire leur désir. Une partie de la sexualité féminine échappe, cependant, à être signifiée par le Phallus. Parce que la jouissance féminine n’étant pas toute séparée du corps, est aussi plus indéterminée que celle des hommes. Dans quelle partie du corps ou de quoi jouissent les femmes ?
Pour Lacan, il serait impossible de répondre à cette question, cette jouissance dépassant le sujet. Et cela parce qu’en raison de l’impossibilité à l’identifier, elle apparaît précisément irréductible à toute identité. La jouissance féminine achève, par conséquent, de déstabiliser la place du féminin dans le rapport de la femme à un homme, mais aussi de la femme elle-même, parce qu’elle se présente toujours sous la forme de l’Autre absolu. Toutefois, ce dédoublement de l’identité, une femme est toujours Autre que ce qu’elle est, n’est pas privatif du genre féminin, les hommes pouvant également accéder à cette jouissance. Choisir la vie familiale au détriment du travail semble donc un choix, qui demeure encore masculin. Par ailleurs, un homme qui s’identifie, aux yeux des femmes, à la place d’objet, ne peut encore être situé à la place de l’Autre. Un homme dont la jouissance le situerait à la place de l’Autre, ressemblerait peut-être à un homme mystique, dégagé de tout échange qui contraint le lien.
Finalement, lorsque l’on revient à la question : le symbolique est-il suffisamment neutre et dégagé des rôles du genre ? On perçoit bien que le fantasme inconscient de la femme comme objet est, dans des situations déterminées, pour ainsi dire, identique aux représentations sociales du féminin. Par exemple, la situation politique actuelle, en France, montre que si la loi contraint, à l’occasion des élections législatives une circulation minimale des femmes, sa transgression est payée, en échange, par l’acquittement d’une amende. Comment éviter dès lors de ramener à la psychanalyse, des « représentations idéologiques de la différence des sexes », lesquelles trouvent à leur tour, un fondement psychique, issu de la psychanalyse elle-même ? Avec le risque que n’importe quel concept analytique, y compris le plus fantasmatique, entraînent des stéréotypes sociaux[6]. La neutralisation des rôles, considérée comme une tendance de notre société actuelle, renforce l’identité masculine qui évolue et se transforme sous des habits différents. La place du féminin paraît, au contraire, ne jamais être une source identitaire, parce qu’elle se présente comme irréductible à tout habit.
[1] Judith Butler, Trouble dans le genre, pour un féminisme de la subversion, Paris, Éd. La Découverte, 2005, p. 69.
[2] Elisabeth Badinter, Le conflit, la femme et la mère, Paris, Éd. Flammarion, 2010, p. 13.
[3] Voir François de Singly, « Les habits neufs de la domination masculine », in Revue internationale Esprit n°196, Paris, novembre 1993.
[4] Voir Jacques Lacan, « La signification du phallus », in Ecrits, Paris, Seuil, 1966, p.694.
[5] Voir l’argument que développe Judith Butler, Trouble dans le genre, pour un féminisme de la subversion, op. cit. p. 128.
[6] Voir Michel Tort, « Le différend », in Psychanalystes n° 33 Symboliser, Revue du Collège de psychanalystes, Paris, 1989.
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